Des racines et de l'arbre

Publié le par Duir

Quand nous parlons de créer de l’âme, c'est-à-dire de nous donner littéralement l’ordre de générer un système racinaire de plus en plus étendu, un territoire de l’âme conquis et entièrement occupé de plus en plus vaste, nous vivons à la manière d’un arbre gigantesque … Il ne se contente pas de faire monter l’énergie. Il la fait redescendre au fur et à mesure qu’il pousse en surface, en lui confiant la tache de développer le système racinaire, la quête d’un supplément de nutriment, et l’adaptation aux conditions climatiques.

 

P 47 La danse des grand-mères  Clarissa Pinkola Estes

 

Voilà une leçon, naturelle, que chacun d’entre nous peut constater dans la nature et si clairement transmis par cette auteure extraordinaire. Si nous vivions comme des arbres, alors nous devrions pousser autant de la racine que de la canopée  D’un coté cherchant la lumière du ciel et de l’autre puisant toujours plus profond dans la terre.

Il semble cependant que notre époque génère de bien étranges futaies. D’un coté des arbres cherchant haut la lumière du jour, poussant leurs branches à l’extrême limite de leur poussée, réfutant de leurs racines, qui leur paraissent même sales. Ces arbres, comme de trop grands chênes prétentieux, sont par un simple vent, mis à terre, décapités, coupés.

De l’autre nous pouvons rencontrer des arbres, seulement orientés vers le bas de leur tronc, comme autant de nombrils. Ceux là, poussent tant leurs racines, sans pointer vers le ciel, qu’ils s’entremêlent puis s’étouffent, poussant comme en dedans.

 

Pointer vers le ciel est aisément compréhensible, de chercher la lumière, à la conscience éclairée, réaliser, donner des fruits, car c’est la voie visible à nos yeux, à notre matérialisée. Notons qu’il ne s’agit pas de branchages virtuels, que l’ombre n’est produite que par la vraie verdure. Les branches, les bourgeons, les fleurs et les fruits sont de concrètes « choses ».

Générer un système racinaire peut sembler plus occulte, parce que dans la terre, dans la nuit, dans l’obscur. Cette terre n’est ni sale, ni vilaine Ce noir n’est pas méchant. .Il nourrit, il réchauffe, il garde, il compte le temps. Nos morts dorment dans la terre. Notre mémoire humaine y flotte, s’y murmure.

 

Ne peut-on, aisément lier cette racine à ce que le passé nous offre de nourricier et non pas castrateur, ce que le passé offre de vivifiant et non pas désintégrateur ? Y a t-il réellement un secret, autre que ce que nous ne savons pas voir, pas entendre ?

Nous pouvons, danser et gesticuler sans fin, aux creux des bois anciens, nous pouvons vagir et cracher des mots qui ne sont pas les nôtres, le voile ne se déchire pas. Il faut pour cela simplement, poser son bâton, lever la tête et regarder d’en bas, sentir sous ses pieds les dures racines qui courent et .. regarder l’arbre. Alors le chant de la terre pourra se dévoiler et la leçon du monde lancer ses mille feux de joie.

 

Loin du délire anthropomorphique, de l’humanisation des choses et des règnes, les arbres ne parlent pas le langage des hommes. Nous nous pouvons parler le langage des arbres, ce langage immémorial qui passe par l’image magnifique à travers nos pupilles, le frais doux sur la peau projeté par son ombre, l’odeur qui nous abreuve, et la grande leçon de sa présence.

 

Loin de la sensiblerie mièvre et des appropriations égotiques, peut-être pouvons-nous retrouver ce regard, à la fois doux et sauvage, sage et fou mais toujours juste.

Peut-être pouvons retrouver l’équilibre de nos pieds, pour enfin laisser nos bras non pas partir à l’assaut du ciel, mais se balancer dans la verdoyance …

 

Publié dans Essais

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